Les âmes troublées au paradis : Voir du pays

Il y a déjà de nombreux films à propos de l’expérience infernale et cauchemardesque de la guerre, ainsi que des drames sur les épreuves des soldats qui essayent de réintégrer la société civile. Mais Voir du pays, réalisé par Delphine et Muriel Coulin, examine l’espace liminal entre ces deux expériences : le congé de décompression mandaté d’une unité de soldats français, après leur période de service en Afghanistan, mais avant leur retour à la maison.

 Tourné en France, en Grèce et à Chypre, Voir du pays est un drame psychologique avec Ariane Labed et Stéphanie Sokolinski dans les rôles principaux. Sorti en 2016, il a gagné le prix du meilleur scénario au Festival de Cannes. L’histoire suit deux jeunes soldats français, Aurore et Marine, et leurs compagnons pendant trois jours dans un hôtel de luxe à Chypre. Pendant ces jours, l’unité subit une thérapie de groupe pour les encourager à discuter et à gérer leurs expériences en Afghanistan. De cette façon, l’armée espère prévenir des problèmes mentaux des soldats. Pourtant, les deux amies et les autres soldats découvrent qu’il y a certaines cicatrices que la discussion et les interventions des autorités n’ont aucun pouvoir de guérir.

Le scénario, écrit par les réalisatrices, est peut-être la force la plus grande du film. En explorant les expériences post-traumatiques de la guerre, l’écriture abordeaussi le traitement des femmes dans l’armée française, le patriotisme aveugle et la masculinité toxique; pourtant, son traitement de ces sujets n’est jamais maladroit. Le scénario respecte la complexité de ces problèmes en évitant des clichés. En effet, le film ne prononce pas des opinions tranchées sur les questions éthiques épineuses qu’il aborde. Par exemple, les scénaristes illustrent le fait que l’armée française ne réussit pas à fournir l’aide dont les soldats ont besoin pour assurer leur santé mentale. Cependant, elles reconnaissent que les autorités essaient de leur mieux et ne suggèrent pas qu’il existe une solution simple au problème.

 L’interprétation d’Ariane Labed, qui joue Aurore, est excellente; son jeu est naturel et convaincant, et elle communique aussi bien la force que la vulnérabilité du personnage. Son visage est expressif, et ses rares sourires gagnent notre sympathie tandis que son contrôle soigné de ses émotions gagne notre respect.

De plus, la réalisation est réfléchie et efficace. Les réalisatrices établissent le contraste entre le paradis artificiel et hédoniste de l’hôtel d’un côté et les soldats fatigués qui bouillonnent de tension et de colère réprimée à travers plusieurs juxtapositions de l’autre : les treillis lourds et sales par opposition aux bikinis aux couleurs vives; le ciel, les piscines, et la mer d’un bleu brillant par opposition à la salle sombre de thérapie; et les rires insouciants des touristes par opposition aux expressions perturbées des soldats.

Voir du pays est un excellent ajout à l’œuvre des films de guerre et d’après-guerre; c’est aussi rafraîchissant de voir un film de ce genre qui réussit le test de Bechdel et ne glorifie pas la guerre. Ce n’est pas un film particulièrement amusant ou humoristique. Le public auquel Voir au Pays s’adresse est un public adulte qui est prêt à penser sérieusement. Mais la nature captivante des personnages et leur situation unique empêchent que nous soyons ennuyés. Je vous recommande d’aller voir ce film pour explorer de façon sensible et mature les questions du patriotisme, du genre et des coûts de la guerre.

Julia Stanski (FREN 445)

Bibliographie

« The Stopover (2016). » IMDb, https://www.imdb.com/title/tt4699444/. Accedé le 24 mars 2020.

Voir du pays. Réalisée par Delphine et Muriel Coulin, First Run Features, 2016.