Il faut commencer à écrire l’histoire des Albertains d’origine africaine

Il est certain que la population franco-albertaine d’origine africaine n’est pas présente depuis aussi longtemps que celle d’origine française ou québécoise. Pourtant la communauté africaine grandit et prospère aujourd’hui. Ayant fait du bénévolat à l’organisation CANAVUA (Canadian Volunteers United in Action), j’ai pu rencontrer bien des membres de cette communauté et je peux donc témoigner de sa vitalité actuelle. Aussi, il me semble qu’il est temps de commencer à écrire l’histoire collective des migrants africains francophones en Alberta.

CANAVUA s’occupe d’une banque alimentaire à la Cité francophone dans le quartier Bonny Doon. Pendant plus de deux mois, j’y suis allé afin d’aider. Les autres bénévoles n’étaient pas uniquement des étudiants, beaucoup venaient eux-mêmes d’Afrique et quelques-uns étaient des immigrants récemment arrivés au Canada. J’ai eu l’occasion de faire leur connaissance. Quoique nos échanges concernant leur vie et leurs histoires aient été tout à fait brefs, j’ai été marqué par la force émergente de la communauté africaine locale.

D’où vient cette force? Je ferais valoir qu’elle s’explique par la taille de la communauté et son unité. Bien sûr, même si je n’ai interagi qu’avec des Africains spécifiquement francophones, je suis conscient que la population africaine à Edmonton est plus diversifiée. S’il existe des raisons fortes pour écrire l’histoire de la communauté franco-africaine, il faut également s’intéresser aux migrants de l’Afrique en Alberta en général.

La taille de la communauté africaine francophone vivant en Alberta s’explique facilement. Comme de plus en plus de personnes arrivent dans la province, cette communauté s’agrandit. On ne peut négliger sa place dans notre culture dans toutes ses composantes.

L’unité de la communauté africaine francophone ne saurait être si évidente dans l’histoire contemporaine. Cependant, je suis arrivé à l’observer en me trouvant à la confluence de nombreuses cultures africaines à la banque alimentaire. Là, il y avait notamment des Congolais, une jeune mère ivoirienne, deux femmes camerounaises, une Burkinabaise de Ouagadougou (elle appelait sa ville d’origine, affectueusement, « Ouaga ») et quatre frères et sœurs d’origine rwandaise. En voyant leur amitié mutuelle, j’ai noté un lien commun, enraciné dans leur continent de naissance, qui les a réunis dans un esprit de fraternité. Bien qu’appartenant à des pays bien différents situés à des côtés opposés du continent, leurs histoires comportaient des points communs marquants. J’ai apprécié qu’ils luttent d’une manière toute similaire pour s’adapter à la vie nouvelle qu’ils ont trouvée au Canada, leur nouvel abri. Que ce soit l’apprentissage de l’anglais, langue omniprésente, mais pour eux, inconnue, ou bien la familiarisation avec de nouveaux types d’aliments, les immigrants africains semblent former un mélange hétérogène. On se mêle les uns avec les autres à La Cité, afin qu’une seule communauté africaine francophone se forme à partir de ses composantes constitutives.

La présence des Africains francophones est liée au colonialisme français en Afrique. L’histoire coloniale est une histoire violente où l’on voit des conquérants et des vaincus. Nous savons bien que les peuples africains ont perdu l’ancienne lutte. En cours, nous avons étudié plusieurs réactions à l’héritage colonial, dont la Négritude de Senghor, la Créolité de Chamoiseau et la condamnation cinglante de la sauvagerie coloniale selon Césaire. Ces exemples littéraires peuvent être des précédents pour la réaction des Albertains d’origine africaine en relation avec leur propre expérience postcoloniale. Leurs histoires auront-elles des aspects positifs, comme les allusions à la liberté qu’a faites Assia Djebar concernant la langue française qui est émancipatrice bien que conquérante? Est-ce que nous trouverons, d’autre part, que ces personnes sont venues vivre au Canada pour éviter la destruction causée par le colonialisme et ses conséquences chez eux en Afrique? Peut-être verrons-nous surgir la confusion et l’ambiguïté rencontrées au croisement des deux cultures, à la manière de Samba Diallo dans L’Aventure ambiguë de Cheikh Hamidou Kane. Je suppose même que nous pourrions nous intéresser aux conséquences démographiques qui découlent de la vague d’immigration africaine; y aura-t-il un métissage entre les Africains et les autres groupes ethniques présents au Canada, comme le dans le cas de Nootka et des Métis de la rivière Rouge au Manitoba, d’où de nouvelles identités émergeront? Il nous faudra attendre pour en savoir plus. Mais le lien entre le colonialisme dans des contextes étudiés en cours et la vie réelle est évident : à partir des expériences du passé, nous voyons une réalité similaire au présent qui est en train de se produire, dont le résultat n’est pas encore visible.

Je conclurai en soulignant l’importance d’initier l’enregistrement de l’histoire unique de la communauté africaine. Les Africains devraient enregistrer leur propre histoire et héritage. La communauté est bien établie maintenant et est digne ainsi de mention dans les annales de notre histoire collective.

Mais à quoi rassemblerait cette histoire? Il nous faut attendre la parole des migrants africains qui nous informeront de ce qui, pour eux, en sont les aspects les plus significatifs. Cela fait écho aux sentiments de Guy Armel Bayegnuk, qui pense que les Africains doivent « [prendre] leur destin en main et écrire leur propre histoire, au propre comme au figuré. L’Afrique s’est trop laissée dire par autrui. Il est temps qu’elle se raconte elle-même. ». À l’instar de Tocqueville, je me demande : Qu’est-ce donc que l’Albertain d’origine africaine, ce nouvel homme parmi les nations de la terre? Il est immigrant comme chacun de nous l’est ultimement ici et, bien qu’il essaie de construire sa vie dans l’inconnu, il devient vite un membre singulier, mais à part entière de notre pays.

Aidan Macpherson (FREN 312)

Bibliographie

Rougé, Jean-Robert. L’idée américaine au 18e siècle. La révolution industrielle en Grande-Bretagne, 1760-1830. Paris : Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 1992. Google Book Search. Web. 8 avril 2016.

Armel, Guy. Message à l’auteur. 17 février 2016.