Ils veulent effacer notre culture

J’ai été nommé Mustafa par mes parents, mais à l’école on m’appelle François. Mes enseignants se moquent de mon vrai nom et de ma langue maternelle. Selon eux, l’arabe est quelque chose de païen. C’est pour cela que je dois adopter ce prénom chrétien. Pour moi, Mustafa et François sont deux personnes différentes. François est simplement un personnage que je dois incarner pour plaire aux colons. Quand je retourne à la maison, je peux redevenir moi-même. Là je suis libre de reconnaître mon héritage et la fierté de mon peuple. Là je suis entouré de la grâce d’Allah. Là je ne suis pas traité comme un sauvage ou un pécheur.

L’école coloniale enseigne tant de choses qui ne sont guère pertinentes pour les Algériens. Pourquoi faut-il apprendre les noms des fleurs françaises alors que je ne peux même pas les regarder ou les sentir? Pourquoi faut-il apprendre les noms des Français qui sont déjà morts il y a plus de 100 ans? L’histoire des Français n’est pas la mienne. Les Gaulois ne sont pas mes ancêtres. Je veux savoir ce qui me rend Algérien.

Mes parents me racontent des histoires de nos ancêtres berbères. Ils n’étaient pas serviteurs des puissances européennes. Ils n’étaient pas entachés par le christianisme. En fait, ils semaient la peur dans le cœur européen. Ils ont saccagé les navires marchands européens. Ils ont vendu les chrétiens comme esclaves. Peut-être que c’est la raison nous sommes maintenant dépouillés de notre culture et de notre identité. L’homme nord-africain est trop puissant pour être contrôlé par l’homme blanc, il faut écraser son esprit pour le rendre faible. Mais l’Européen ne peut pas me décourager. J’espère que je verrai le jour où les colons s’enfuiront de peur et où nous regagnerons notre indépendance.

Mon enseignant, qui est un soldat français, me dit toujours :
— La langue française est la langue du monde civilisé et vous n’êtes pas une personne instruite ou distinguée à moins de savoir parler le français… Pour parler le français, mes jeunes amis, il faut penser en français. Ensuite, on peut être plus qu’un homme ordinaire; on peut être associé à la noblesse et au destin de notre pays… Aimez la France avec toute votre force parce qu’elle vous aimera en retour.

Les colonisateurs veulent nous façonner à leur image; qu’on parle le français, qu’on adopte les valeurs de leur patrie, qu’on croit en Jésus Christ. Ils nous obligent à accueillir leur identité comme s’ils nous avaient offert un cadeau, mais il y a un piège. Nous ne serons jamais acceptés comme des Français authentiques. Alors, est-ce que cela vaut la peine de travailler à une tâche impossible? Est-ce que cela vaut la peine de tourner le dos à Allah?

Cela me rappelle mon cousin qui est tombé amoureux d’une Française. Il a mis sa vie au service de l’empire colonial. Il a bien joué son rôle. Mais ce n’était pas suffisant pour le colonisateur. Selon les principes de la hiérarchie des races, il est catégoriquement inférieur. L’amour entre Français et Algériens est considéré comme une abomination. Mon cousin et sa copine ont été bafoués par leurs propres communautés. Ils sont coincés entre deux mondes.

C’est un sentiment que je connais bien, être coincé entre deux mondes… L’aliénation est une conséquence de l’éducation coloniale. Est-ce que c’était toujours l’intention du colonisateur de nous laisser à la dérive? Ils veulent effacer notre culture en faveur de l’assimilation, mais comment est-ce qu’on peut assimiler si on ne peut même pas étudier dans la même salle que leurs enfants?

Toutes les histoires qu’on doit lire à l’école décrivent un quotidien peu représentatif du nôtre. Les enfants ne sont pas instruits par les soldats en France. La vie scolaire et la vie de famille ne sont pas incompatibles comme pour les colonisés. Les jeunes étudiants français ne prient pas Jésus Christ à l’école, puis Allah à la maison. Ils ne parlent pas le français toute la journée puis l’arabe dans la soirée. Les parents amènent leurs enfants à l’école sachant que ce qu’on y enseigne corrobore ce qu’on apprend à la maison.

Mes parents ne veulent pas que j’aille à l’école coloniale. Ils sont plutôt des nationalistes. Ils soutiennent le Parti du Peuple Algérien. Ils parlent de la grandeur de Messali Hadj, l’homme sage qui a déclaré : « Cette terre bénie est la nôtre, elle n’est ni à vendre, ni à acheter… ». Peut-être que quand je serai plus grand je pourrais servir la cause. Peut-être que je serais un grand dirigeant comme Hadj. En attendant, je vais résister à l’endoctrinement du colonisateur parce que je ne suis pas son serviteur, je suis le serviteur de mon dieu et de mon pays.

Christian Stahl (FREN 312)

Bibliographie

Ferriere, Alexis. « COLONIAL EDUCATION AND POLITICAL VIOLENCE IN THE ALGERIAN WAR OF INDEPENDENCE ». Academia.edu. N. p., 2017. Web. 28 Feb. 2017.