Les Blues des oubliées ou pourquoi nous sommes des sang-mêlés

Le 23 octobre, je suis allé voir le spectacle Les Blues des oubliées de Pierrette Requier, mis en scène par Brian Dooley, à l’Unithéâtre. Requier l’a écrit à moitié en français, moitié en anglais, dans l’esprit de la francophonie albertaine. Pour aider le public, il y avait des surtitres créés par Milane Pridmore-Franz. La jeune traductrice avait vraiment du pain sur la planche, car le texte était poétique et abstrait, incluant plusieurs calembours et expressions idiomatiques uniques aux Franco-Albertains. Elle a abordé la traduction en utilisant souvent les procédures de l’adaptation et de la modulation pour conserver la qualité poétique du texte.

Les Blues des Oubliées suit la vie d’une jeune femme, qu’on appelle la « Chercheuse » (jouée par Mireille Moquin) qui réfléchit sur son passé et qui est à la recherche de son identité parmi des fragments éparpillés de sa mémoire. Pour illustrer la nature éphémère des pensées, le spectacle est structuré comme une rhapsodie, un élégant contrepoint abordant de nombreux sujets : la colonisation de l’Ouest, les épreuves de la guerre et de la pauvreté, puis enfin à la vie au 21e siècle. Sa « Mémère » (jouée par Giselle Lemire) fournit des anecdotes de son voyage au Canada, celle-ci sert à la fois d’enseignante, de conscience et de critique. Ses récits sont ponctués par les commentaires moqueurs des deux « voix » (Caroline Rouleau et Paula Humby). Celles-ci ne sont pas des personnages concrets, mais plutôt des manifestations des rêveries de l’héroïne, l’une sympathique et l’autre plus méchante. Elles accompagnent souvent la Mémère, et l’ensemble est la personnification des souvenirs fugitifs de la Chercheuse.

Sur un ton autobiographique, Pierrette Requier, illustre le conflit intérieur qui vient du contraste entre les valeurs traditionnelles des Franco-Albertains et celles plus progressives du monde contemporain. Requier aborde avec profondeur plusieurs sujets complexes d’une manière rebelle : le rôle traditionnel des deux sexes, les droits des femmes à prendre contrôle de leur corps et la culture de honte qui frappe ces dernières. À travers cette exploration du mode de vie puritain et parfois contradictoire des immigrants francophones, on voit comment la société s’est transformée depuis leur arrivée en 1914, et comment leur mode de vie est incompatible avec celui des jeunes du 21e siècle.

Pour moi, Les Blues des Oubliées a vraiment résonné, car je suis issu de la culture franco-albertaine. La plupart de ma famille vient du hameau de Plamondon aux alentours de Lac La Biche, au nord de l’Alberta. Ma mémère est venue ici à l’âge de quatre ans, mon pépère à l’âge de six. Toute ma famille est fortement catholique sauf moi, car je doute des principes de l’église depuis mon adolescence, tout comme l’héroïne de la pièce. Requier a souvent utilisé des phrases que j’ai entendues pendant ma jeunesse : « Ne mâche pas l’hostie ! Laisse-la fondre sur la langue ! » De plus, elle profite de la connexion entre le langage de l’église et les blasphèmes français pour habilement juxtaposer le sacré et le profane.

L’autre thème saillant du spectacle était l’identité ambiguë des Franco-Albertains. Cette petite communauté n’est pas entièrement en harmonie avec les Québécois, les Français et les anglophones. L’idée du « sang mixte » mène à la crise d’identité de la Chercheuse. Comment réconcilier le passé de son peuple et le présent ? Quel plaisir d’avoir l’occasion de voir ce spectacle captivant, qui suscite la réflexion et évoque la fierté de ma culture.

Taran Plamondon (FREN 254)

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