La religion : sauve-t-elle ou devrions-nous nous sauver?

Dans le contexte d’une société démocratique, il peut être difficile de réconcilier la liberté constitutionnelle avec la doctrine religieuse. Par exemple, au Canada, La Charte canadienne des droits et libertés nous garantit le droit d’agir et de penser d’une manière autonome à la seule condition que nos actions ne nuisent pas aux droits des autres. Les énoncés de ce document valorisent davantage la diversité des opinions et reconnaissent que nous sommes tous égaux devant la loi. En revanche, plusieurs religions semblent conserver les rapports de domination que la démocratie a abolies. D’abord, elles exigent que les fidèles se soumettent à une volonté autre que la leur, soit celle d’une divinité ou des chefs spirituels, ce qui met les intérêts de l’individu à l’arrière-plan1. Outre les pratiques ascétiques et les rituels, l’ordre au sein des communautés religieuses est souvent renforcé par les lois draconiennes qui suscitent la peur chez les croyants fervents2. Vue dans cette perspective, la liberté et la religion semblent s’opposer.

La généralisation que toutes les doctrines religieuses sont oppressives serait pourtant réductrice. Malgré le fait que les textes sacrés imposent des contraintes, on y trouve aussi des messages qui mettent en valeur les principes démocratiques, notamment l’égalité et la solidarité3. Ces messages ont inspiré les activistes tels que Gandhi et Martin Luther King Jr. à lutter contre l’oppression; même dans le monde séculier, ils sont emblématiques de la révolution. Tenant compte de cette dualité doctrinale, nous faisons face à une question importante : est-ce que la religion a une place dans une démocratie?

Dans cette dissertation, j’explorerai les dimensions de cette question en jetant un regard critique sur quelques cas. Ensuite, je proposerai que les croyances religieuses et séculières peuvent coexister sous la même constitution sans antagonisme.

La liberté de l’âme : l’espoir, le soutien et une raison d’être

Tout d’abord, la foi peut nous permettre de vaincre la peur de souffrir. Selon les religions abrahamiques, les défis ne sont pas à craindre, car ils nous rapprochent d’un dieu bienveillant sur lequel nous pouvons nous appuyer. De la même manière, les religions orientales enseignent que l’adversité n’est qu’une épreuve à surmonter afin d’apprendre les leçons requises pour la réincarnation. Le récit de Patricia Sealy témoigne de la puissance d’une vision qui attribue un sens à la souffrance. Atteint d’un cancer du sein avancé, elle était peinée de quitter sa famille et elle redoutait la chimiothérapie qu’elle devait subir (Sealy 1163). Pourtant, elle a trouvé un réconfort en faisant un parallèle entre son sort et la passion du Christ, ce qui lui a donné un contexte pour mieux comprendre sa douleur et pour gérer son angoisse (Sealy 1164-1165). La méditation bouddhiste lui a aussi donné le courage de reprendre sa vie après avoir récupéré (Sealy 1165-1166). Grâce à ses croyances, elle a pu faire face à sa maladie au lieu de se laisser envahir par ses inquiétudes. Sa souffrance physique s’est transformée en renaissance spirituelle.

En plus de nous libérer de la peur, la participation religieuse peut nous remettre sur la bonne voie. Pour les jeunes aux prises avec un conflit familial, les activités organisées par les églises fournissent un réseau social duquel ils peuvent obtenir des conseils et du soutien pendant les périodes difficiles. Puisqu’un manque de soutien rend les jeunes plus susceptibles d’être délinquants, l’appartenance à une communauté sécuritaire assure qu’ils seront libres de réaliser leurs buts dans l’avenir (Sigfusdottir et al. 477-484). Un autre exemple est le programme « Innerchange Freedom Initiative » qui vise à réhabiliter les criminels. En mettant en valeur les principes chrétiens tels que le pardon et le pacifisme, ce programme encourage les détenus à reformuler leur vision du monde et à s’exprimer par des moyens non-violents. Une fois réintégrés dans la société, ils peuvent reprendre leur liberté pour atteindre leurs objectifs.

Un des reproches d’une société de consommation telle que la nôtre est qu’elle nous enfonce dans un vide spirituel et nous rend esclaves des biens matériels. Le désir d’atteindre le niveau de vie le plus haut possible rend proportionnel la valeur personnelle à l’argent, et crée un environnement de désespoir et d’isolation. Les gens sont en quête du bonheur, mais la société ne leur offre que des solutions superficielles qui ne remplissent pas les besoins au tréfonds de l’âme, dont l’estime de soi et le désir de réaliser son potentiel. En conséquence, les gens errent sans but et deviennent apathiques. Dans son documentaire L’Heureux Naufrage, le réalisateur Guillaume Tremblay explore le rapport entre les symptômes du matérialisme et « l’effondrement de l’institution religieuse » au Québec.4 Il propose que l’absence de conseil spirituel laisse les grandes questions de la vie sans réponses, ce qui nous déstabilise et nous force à tourner vers les plaisirs instantanés pour se distraire. Certes, la croyance religieuse n’est pas le seul moyen pour parvenir à une raison d’être, mais sa mise en valeur de la paix intérieure et la simplicité est un bon départ.

D’après l’exposé ci-dessus, la religion redonne l’espoir à une humanité souffrante, aide à refaire sa vie et fournit un sens à ceux qui en cherche. Cependant, il serait restrictif de se concentrer uniquement sur les bienfaits de la religion : de nos jours, la religion fait fréquemment l’actualité d’une manière tragique et violente. Pour mieux comprendre pourquoi, il est nécessaire d’examiner comment la religion peut empêcher d’être libre

Pèlerins ou pions : la pensée dogmatique nuit-elle à la pensée critique?

Contrairement à une démocratie, l’institution religieuse établit une hiérarchie dans laquelle une minorité est supérieure aux autres. Ces individus – le pape, les gourous ou les prophètes, par exemple – ont une autorité absolue et reçoivent une obéissance inconditionnelle, car ils sont perçus comme étant être plus proches des divinités. Ainsi se crée une relation de pouvoir déséquilibrée qui peut désavantager les dirigeants et les fidèles. D’abord, le fardeau de l’institution retombe sur les dirigeants : ils doivent offrir des conseils et sont souvent la cible du public quand les controverses émergent.5 Quant aux croyants, ils deviennent vulnérables en cédant leur capacité d’agir à quelqu’un d’autre. Prenons, par exemple, le scandale du « House of Prayer » dont la directrice prétendait recevoir des messages de la Vierge Marie. Elle a piégé les croyants et leur a demandé de faire des dons. Plusieurs enquêtes ont révélé qu’elle a tiré avantage de la générosité de ses fidèles en détournant leurs dons.

En privilégiant le surnaturel, la doctrine religieuse construit un monde auquel la raison cesse de s’appliquer. Par conséquent, les croyants sont dupés par les idées irrationnelles, dont l’ascension au paradis à un extrême et la condamnation éternelle à l’autre. Ils perdent ainsi leur capacité de raisonner et d’agir. Pour clarifier cet argument, je prends pour exemple le massacre de Jonestown. Fondé par Jim Jones en 1978, le Temple du Peuple était un refuge de la ségrégation raciale de l’époque (Gutwirth 174-179). Charismatique et convaincant, Jones promettait une utopie dans laquelle on pourrait vivre en solidarité peu importe son ethnicité. Cette communauté était censée d’être un véritable paradis sur terre. Mais cette vision utopique est partie en fumée : pour garder ses disciples, Jones leur disait que de le quitter revenait à nier Dieu lui-même. Bien que les victimes de Jones ne soient pas responsables de leur manipulation, on pourrait argumenter que leur croyance en Dieu et à l’enfer ont rendu Jones plus crédible. Certes, les guérisons que Jones avait orchestrées et ses allégations d’être l’incarnation de Jésus auraient fort probablement suscité une enquête dans une société laïque. La tragédie qui a suivi aurait pu être évitée.

L’obstacle le plus radical à la liberté est la division civile que la religion peut créer. Chaque dogme maintient qu’il contient la vérité absolue et ainsi met les autres croyances à l’écart. Cette mentalité nous catégorise en tant que « chrétiens », « musulmans » ou « bouddhistes » au lieu « d’être humain », ce qui engendre le mépris et la déshumanisation de l’autre. Le conflit sanglant entre les catholiques et les protestants en Irlande du Nord témoigne de ce problème. Aveuglés par la haine, ils ont totalement oublié le contexte historique complexe dans lequel le conflit avait commencé. S’ils avaient cherché à mieux comprendre, ils auraient réalisé que leur ségrégation mutuelle n’est pas en accord avec la société contemporaine. Étant donné que la déshumanisation et la polarisation sont parmi les étapes qui précèdent le génocide, il est impératif qu’on soit vigilant (Centre commémoratif de l’Holocauste à Montréal).

En somme, la religion empêche d’être libre car elle nuit à l’égalité, enlève les bornes de la raison et provoque des conflits violents. Sans doute, ces aspects négatifs ne sont pas compatibles avec la liberté : il serait peut-être souhaitable d’adopter une politique laïque.

La tolérance et l’éducation pour fonder une société post-séculaire

Bien que la religion puisse susciter l’appréhension dans une société qui valorise la raison et l’autonomie, la réalité est que plusieurs construisent leur vision du monde sur les fondements des doctrines religieuses. Afin qu’on puisse s’entendre, il faut faire un effort pour comprendre ces croyances. L’interdiction de la religion ne mènera qu’à la colère et à l’isolation. De plus, nous serions privés de la richesse des perspectives que les différentes croyances peuvent nous offrir.

Il est aussi important d’adopter un cadre rationnel pour interpréter la doctrine religieuse. Toute comme on n’oserait pas agir selon les poèmes ou les contes, on ne peut pas prendre les textes sacrés au pied de la lettre. L’époque à laquelle ces textes avaient été écrits est très éloignée de la nôtre et il faut apprécier ses différences culturelles, linguistiques et politiques. L’éducation est une sauvegarde pour assurer que l’on n’abuse pas de la religion et qu’elle ne conduise pas à l’extrémisme.

Conclusion :

En résumé, la religion peut à la fois nous délivrer et nous opprimer. Tout dépend de notre attitude : avec un esprit ouvert, nous pouvons nous respecter les uns et les autres. Avant tout, il faut reconnaître l’universalité de l’expérience humaine : nous nous réjouissons tous de la paix et en temps difficiles, nous avons tous besoin de compassion et d’aide.

Lisa Grondin (FREN 297)