AHLAM

Assise sur une belle balançoire jaune, je prends un grand élan vers l’avant. Un agréable zéphyr caresse mes joues lorsque je lève la tête vers le soleil qui me réchauffe. Mes longs cheveux noirs sont ébouriffés et je ressens les battements de mon cœur qui s’accélèrent quand je souris avec joie. Tout d’un coup, je saute de la balançoire et j’atterris. J’ouvre à peine les yeux et je me retrouve de nouveau dans l’obscurité de ma petite chambre. J’entends la douce voix lointaine de maman qui m’appelle.

― Bon matin Ahlam! Réveille-toi! Il faut se dépêcher pour ne pas être en retard.

Je me précipite vers ma commode pour retirer une nouvelle paire de chaussettes rouges. Avant de sortir de ma chambre, je jette un coup d’œil dans le petit miroir sur le mur près de la porte. Je regarde mes yeux foncés, la petite tâche de naissance sur mon front et mes cheveux noirs frisés. Je ne peux pas m’empêcher de me comparer aux filles françaises que je rencontre à l’école. Suis-je vraiment différente d’elles? Ensuite, je me dirige lentement vers la cuisine d’où provient une odeur délicieuse. À ma grande surprise, maman a préparé de savoureuses galettes de semoule.

― Ah comme je suis contente maman! J’adore ces galettes!

― Je suis ravie ma chérie. Il faut bien nourrir le cerveau avant d’aller à l’école.

― Maman, il n’y a guère que toi qui penses que l’école est utile.

― Ma fille n’oublie pas qu’une femme sans éducation, est un corps sans âme.

Après le petit déjeuner, il faut que je parte rapidement, car l’école est à quatre kilomètres de chez moi. En marchant, mes pensées virevoltent dans ma tête. Je ne comprends pas la logique de maman. Elle croit qu’à l’école je me sens bien. Elle pense qu’à l’école j’apprends à m’exprimer et qu’à travers une bonne éducation, j’enrichirais mes connaissances. Souvent, je doute que de pouvoir accomplir tout ce que maman désir puisque cette école est un cauchemar.

Je franchis les grandes portes de la cour de l’école. Je me rappelle ma curiosité, il y a deux ans, quand je voyais la construction de cette école ici dans ma ville de Bouzaréah. Je ne pouvais pas concevoir la malchance de devenir une étudiante ici. Maintenant, en montant les escaliers interminables pour me rendre vers ma salle de classe, je comprends.

À l’entrée de la salle, la maîtresse française nous attend silencieusement. Je n’ai jamais connu une personne si méthodique et si maussade. Je ne pense pas qu’elle connaisse le sentiment du bonheur. Je m’assois calmement à ma place et je sors mon cahier et ma plume. Quelques instants plus tard, ma copine Juliette prend sa place à côté de moi et me salue d’un geste.

La maîtresse ferme la porte brusquement. Lorsqu’elle se dirige devant la classe, le son désagréable de ses talons hauts résonne dans mes oreilles. Le cours du matin, c’est le français et j’avoue que, pour mon âge, je comprends assez bien cette langue étrangère. Par contre, mes treize ans n’étaient pas tous consacrés à l’apprentissage de cette langue odieuse. Alors, quand la maîtresse m’appelle pour lire à haute voix, j’ai les paumes qui transpirent et la respiration qui se coupe. Je regarde l’horloge et il n’y a que trois minutes jusqu’à la récréation. Pourquoi ne pouvait-elle pas demander à un Français? Après tout, c’est leur langue! Zut! La maîtresse voit que j’hésite à parler, elle se rapproche avec un regard inquisiteur. Je murmure quelques mots sans la regarder.

― À haute voix, Ahlam! Je n’ai pas toute la journée pour te civiliser!

La cloche vient à mon secours et me coupe la parole. La maîtresse lève le nez et s’en va ouvrir la porte.

― Quinze minutes de récréation! Les Français, soyez sages en jouant et les autres près du mur, c’est compris!

Les Français marchent rapidement avec agitation pour jouer à divers jeux comme la marelle et la corde à sauter. Nous, les Algériens, nous n’avons pas accès à ces moyens de divertissement. Je suis simplement contente de pouvoir sortir de cette pitoyable salle de classe. La dernière personne à rattraper les Français est Juliette, mais elle ralentit pour marcher avec moi vers la cour.

― Salut Ahlam! Regarde, nous portons les mêmes chaussettes rouges!

― Vraiment? C’est trop drôle ça!

― Oui, nous sommes comme des sœurs qui ont été séparées à la naissance!

― Cela est impossible, on n’a même pas la même couleur d’yeux ou de cheveux. En plus, nous parlons des langues différentes hors de l’école!

― Les différences dont tu parles ne sont pas importantes.

Nous arrivons dehors dans la cour et Juliette va rejoindre les Français, qui sont tous sous la lumière du soleil de midi. Moi, je me retourne vers le côté du mur de l’école où je vois les autres Algériens assis dans l’ombre. Je marche d’un air morose vers mon groupe pour m’asseoir avec eux. Juliette ne comprend pas la raison pour laquelle je suis mécontente. Elle ne se rend pas compte que ce sont nos différences qui nous séparent de façon injuste. Elle est du côté des Français et moi des Algériens.

En restant accroupie dans l’ombre créée par le mur de l’école, je peux voir Juliette s’amuser sur la balançoire jaune de mes rêves en se donnant un grand élan. J’aimerais bien comprendre ce que cette école veut m’apprendre. Je viens ici pour m’éduquer, mais à propos de quoi? De me sentir gênée de parler?, d’avoir peur de jouer et d’être discipliné?, car je suis Algérienne. Cette école n’est pas digne de porter le nom d’établissement éducatif parce que ce n’est qu’un mensonge.

C’est la fin de la journée à 15 h, je me prépare pour retourner à la maison. Mes pieds sont lourds et mon dos est voûté. Mes espoirs sont écrasés, je n’ai pas envie de soulever la tête et je ne peux plus sourire. Peut-être deviendrais-je comme la maîtresse si je continue d’aller à cette école?

En rentrant à la maison, je vois maman lire le Coran. Elle me jauge pour un bout de temps sans dire un mot. Ensuite, elle se lève pour me questionner.

― Est-ce que tu te rappelles ce que signifie ton nom?

― J’ai oublié, maman.

― Ahlam veut dire rêveuse. Tu imagines les plus beaux rêves et tu as le pouvoir de les réaliser.

― Il faudra alors me trouver un nouveau nom, car dans cette vie je ne peux rien réaliser.

― Non, Ahlam. Dieu n’impose à chaque personne que ce qu’elle peut porter. Tu es destinée à surmonter toutes tes difficultés.

Après les dernières paroles réconfortantes de maman, je me dirige vers ma chambre. Je sais bien que demain il faudra me lever et aller dans cette insupportable école. Ce dont j’ai besoin, c’est oublier tous ces obstacles insurmontables. Alors, pour le moment, il faut que je m’endorme pour vivre la joie éphémère que m’apportent seulement mes rêves.

Dalia Tarchila (FREN 312)

 

Bibliographie

Eljazairelmahroussa. “Algérie : L’école Coloniale (Audio) 1ère Partie.” YouTube, YouTube, 9 Sept. 2012, www.youtube.com/watch?v=ZFg7lQCOtbo&t=10s.