Lettre à Oscar

Cher Oscar,

Après avoir longtemps réfléchi sur le contenu de cette lettre, j’aimerais m’adresser à toi pour te demander pardon. D’abord, pour avoir autant hésité à t’écrire cette lettre marque mon cinquième essai. J’espère que tu pourras comprendre que c’est difficile d’écrire une lettre tout en sachant qu’aucune réponse ne sera donnée. Bien que je commence à m’habituer à la solitude depuis que ta mère et moi nous sommes séparés, il me faudra encore du temps pour me sentir à l’aise sans compagnie et surtout, sans toi. Je ne sais même pas si je suis capable d’accepter ton absence.

Les lettres ne sont pas censées être écrites par un parent à son enfant dans de telles circonstances. Tu aurais eu dix-huit ans cette année et cela devrait être toi qui me gardes au courant de ta vie. Même si ce n’est qu’une fantaisie qui enjolive, cela me réchauffe un peu le cœur d’imaginer que tu poursuives ce qui te fascine et que tu explores les possibilités infinies que le monde aurait dû t’offrir. Mais par un retournement du sort, c’est moi qui t’écris et comme toi avec tes lettres, je me demande où adresser la mienne.

Ta chère Mamie-Rose nous a donné tes lettres le jour de tes funérailles. Puisqu’elles n’étaient destinées qu’à Dieu, je devrais peut-être aussi te demander de me pardonner de les avoir lues. Cela m’a pris plusieurs mois avant d’oser les toucher, car à chaque fois que j’ai essayé de les sortir de leur boîte, cela m’a paralysé. Elles concrétisaient la vérité de ta mort. J’ai à peine eu le courage de les lire et quand j’ai finalement réussi, j’étais dans tous mes états. Pendant treize soirs, je me suis assis à la table dans la pénombre, tout penaud et tremblant, en lisant fébrilement. Tes lettres sont tout ce qui me reste et elles me font de la peine. Comment est-ce que des morceaux de papier peuvent-ils te survivre ?

Je me suis demandé plusieurs fois si cela serait plus facile d’accepter ta mort si je croyais en Dieu. Peu de temps après avoir appris qu’il ne te restait plus d’options, j’ai visité la chapelle de l’hôpital où, pour la première fois de ma vie, j’ai essayé de prier. Si Dieu est bien réel, il m’a probablement tourné le dos, car aucun miracle ne s’est produit et je n’ai senti que la froideur du banc sur lequel j’étais assis.

J’ai entendu qu’il faut se donner entièrement à Dieu afin de le découvrir. Rétrospectivement, c’est peut-être là mon problème; je voudrais croire pas pour le servir ou pour le connaître, mais pour me convaincre que tu ne souffres plus. Je désire croire pour mon bien aussi. Ma vie sera moins douloureuse si je pouvais être assuré qu’on sera réuni un jour comme père et fils. Pourtant, le fardeau de la tristesse m’a réduit à un corps sans foi et sans âme à sauver. Je suis désolé de ne pas arriver à me confier à ton dieu et qu’après huit ans, je suis encore figé dans le temps.

Je crois que tu seras fier de ta mère, par contre : elle s’est montrée beaucoup plus résiliente que moi. Elle a créé une fondation à ta mémoire et elle a déjà recueilli des milliers de dollars pour la recherche sur la leucémie. J’ai honte d’admettre, mais je n’ai pas appuyé ses efforts autant que j’aurais dû. J’aimerais te rendre hommage tout en donnant l’espoir aux autres, mais je ne veux pas qu’on se souvienne de toi comme d’un petit garçon mort de la leucémie. Tu es un exemple de la façon dont la vie est précieuse non pas parce que la tienne s’est finie prématurément, mais parce que tu étais un enfant comme tous les autres, avec un avenir prometteur. Je ne veux surtout pas qu’on s’apitoie sur ton sort, car tu ne l’a pas fait. Toutefois, en essayant de me justifier, je me rends compte du fait que je ne sais pas ce que tu aurais voulu.

Je crois souvent que tu avais raison, Oscar : j’étais lâche. Au lieu de te parler ouvertement, j’ai refusé d’accepter la réalité. Enfin, tu étais beaucoup plus courageux que moi. Parfois, je me demande si j’étais égoïste en voulant devenir père. Ne doute pas que je t’aime, mais tu as tant souffert en étant mon fils. Après tout, n’est-ce pas moi qui t’ai donné le corps qui t’a trahi ?

J’ai bien essayé de chercher le bonheur dans lequel tu as fait connaissance avec ton dieu, mais la lumière de l’aube me semble monotone et ne fait qu’aiguiser ma conscience de ton absence. Le psychologue qui m’a prescrit cette lettre comme exercice cathartique m’a dit qu’après huit ans de deuil, il est temps de me libérer. Franchement, je ne suis pas certain de pouvoir le faire : peu importe comment la douleur m’accable, elle te garde dans mes pensées. Je vais peut-être arrêter les sessions.

Je t’aime et je pense toujours à toi,

Papa.

Lisa Grondin (FREN 297)

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