Les zoos humains : êtres humains ou animaux ?

L’odeur de renfermé me rendait nauséeux, de même que les mouvements sur les voies de chemin en fer. Est-ce que j’étais mal à l’aise? Peut-être… On m’avait chargé de faire un travail important qui me rendait nerveux. J’ai jeté un coup d’œil par la fenêtre à l’extérieur et j’ai remarqué les buissons qui se transformaient en bâtiments et le paysage qui se changeait en ville. Je lisais un article dans le journal Le Petit Parisien sur l’exposition coloniale de Vincennes. On espérait que celle de Paris serait plus grandiose. Enfin, après un bon moment, je suis arrivé à Paris. En descendant du train, j’ai remarqué que je ne savais rien de l’endroit où je me trouvais.

C’était ma première fois à Paris, car je vis à Auxonne, près de Dijon. On avait entendu parler des expositions coloniales qui présentent des indigènes de partout dans le monde. Mais à Auxonne, personne ne les avait jamais vues en vrai sauf sur les cartes postales ou les photos dans les journaux. Bien qu’étant moi-même journaliste, je crois être la première personne dans notre ville à voir les « sauvages ». Le responsable de notre journal, Auxonne Aujourd’hui (qui est sur le point de faire faillite), m’avait chargé de faire un reportage sur les expositions coloniales pour sauver le journal.

— Rédige-moi un bel article sur ces êtres humains, Albert! Raconte quelque chose d’intéressant, d’éprouvant… surtout quelque chose qui va se vendre comme des petits pains! dit le patron avant que je parte.

Il était encore tôt, environ 8 h 30 quand je suis arrivé à Paris. Je le sais, car on pouvait voir son souffle dans l’air frais. Je me doutais que Paris serait bondé, mais j’ai été surpris d’être accueilli par beaucoup de monde de partout. C’était incroyable! Pas du tout semblable à Auxonne. Cela doit être à cause des expositions qu’il y a tant de monde. J’ai remarqué une affiche pour les zoos humains avec une flèche à droite qui disait :

VENEZ VOIR LES CANNIBALES DANS LES VILLAGES NÈGRES! AUJOURD’HUI AU JARDIN D’ACCLIMATATION À BAS PRIX!

            J’ai suivi l’affiche sans tarder en sortant mon calepin et mon stylo à encre d’une façon maladroite pour commencer à prendre des notes. Il y avait du monde et je ne savais pas par où commencer. Dans le village nègre, j’ai remarqué plein de cases construites avec beaucoup de sable par terre. À gauche, il y avait des cases sous lesquelles j’ai vu des femmes qui portaient des tenues locales colorées et marchaient sans chaussure. Quelques-unes n’avaient pas de haut et d’autres étaient plus habillées.

À ma grande surprise, ces êtres n’étaient pas du tout comme ceux qu’on voit dans les journaux. Je croyais qu’ils seraient tous souriants, joviaux, mais toujours effrayants comme disent les journaux et les magazines. Ils avaient un regard douloureux et épuisé, mais leurs visages restaient inexpressifs. Près de moi, les enfants jetaient de la nourriture et des déchets aux indigènes à travers le grillage. Hélas, leurs parents ne les avaient pas réprimandés sauf pour leur expliquer qu’il ne faut pas gaspiller de la nourriture. À ma droite, il y avait d’autres grandes affiches qui disaient :

NÈGRES MÂLES, NÉGRESSES FEMELLES

C’est étrange d’entendre « femelle » ou « mâle » au lieu de « femme » ou « homme » en parlant de personnes. On n’utilise jamais ces mots pour parler des êtres humains sauf au sujet des indigènes. Les colonisés agissent à la fois comme des bêtes et à la fois comme des hommes. En revanche, ils ne sont ni bêtes ni hommes selon ces spectateurs. Ils sont présentés uniquement pour le divertissement du public.

Dans le deuxième enclos, il y avait un petit bassin autour duquel jouaient des enfants tout nus. Il faisait beau et la chaleur me faisait suer. Les spectateurs, aussi bien adultes qu’enfants, jetaient des sous dans l’eau pour que les enfants puissent aller les chercher. Les spectateurs trouvaient cela amusant, de même que les enfants. J’ai remarqué après un moment qu’il y avait beaucoup d’hommes en costume traditionnel qui apparaissaient soudainement. Leur vêtement de paille couvrait à peine leurs corps. Quelques-uns tenaient un bâton, ou jouaient du tambour. Tout le monde portait des peintures de guerre. Tout à coup, ils ont commencé à former un cercle, en dansant au rythme des tambours. Quelques-uns ont commencé à pousser des grognements. Cela ressemblait à une scène de bataille; certains imitaient des cris d’animaux. D’autres frappaient leurs bâtons par terre alors que plusieurs individus tambourinaient. La foule était émerveillée par cette mise en scène surtout par les sons qui venaient des hommes bien qu’ils aient encore peur d’eux. Les enfants se cachaient le visage à mesure que les guerriers semblaient approcher de la foule. Les femmes s’évanouissaient. Je me demande si on les considéraient comme des êtres humains ou des animaux ?

Sarah Dada (FREN 312)

Bibliographie

« Le jardin ethnologique. » Wikipedia, https://fr.wikipedia.org/wiki/Jardin_d%27acclimatation_ (Paris) #Les_attractions, Accessed 10 February 2017.

Bancel, Nicolas, et al., « Ces zoos humains de la République coloniale. » Le Monde Diplomatique, Août 2000, https://www.monde-diplomatique.fr/2000/08/BANCEL/1944, Accessed 10 February 2017.