Entretien avec Shavaun Liss

Deanna Kayne (DK) : Pourriez-vous décrire en quelques mots votre recherche sur les surtitres :

Shavaun Liss (SL) : Ma recherche[1] porte sur l’utilisation des surtitres dans les pièces de l’Ouest canadien.  Elle se concentre sur la préservation de la dualité linguistique particulière du français de l’Ouest et le surtitrage comme méthode pour ouvrir ce répertoire à un plus grand public (principalement les anglophones).  Il faut noter que, dans le cadre de ma recherche, je me suis limitée au répertoire de l’Ouest canadien, mais plusieurs de mes conclusions peuvent être facilement appliquées à d’autres régions où le français est la langue minoritaire – particulièrement en Ontario.

 

DK : Pourriez-vous me donner un (ou quelques) exemples de quand les surtitres ont préservé la dualité linguistique et quand ce n’a pas été le cas?

SL : Ce qui rend le théâtre différent des autres genres littéraires est sa dimension orale.  Une pièce de théâtre est créée pour être lue à voix haute.  La dualité linguistique de ces pièces se trouve dans l’alternance entre le français et l’anglais (dans les pièces de l’Ouest) et la façon dont les comédiens sur scène font le passage d’une langue à l’autre presque sans effort.  Alors, en permettant aux spectateurs anglophones d’entendre cette alternance particulière sans empêcher leur compréhension (en utilisant les surtitres), la dualité est préservée.

 

Je ne peux pas te donner des exemples, parce que les surtitres (s’ils sont bien faits) protègent la dualité linguistique parce qu’ils permettent toujours aux spectateurs d’entendre la pièce dans son format et sa langue originelle.  La dualité disparait lorsque l’alternance des langues est perdue à travers une traduction standard créée pour être jouée dans la langue cible (voir la traduction de Le chien de Jean-Marc Dalpé) ou quand cette alternance présente est supprimée à travers une technique de traduction qui remplace la voix des comédiens dans la/les langue(s) source(s) par une autre voix dans la langue cible – comme dans la traduction simultanée, par exemple.

 

DK : « L’Homme de la mancha », la version française de « The Man From Mancha », a été présentée à Edmonton, une ville principalement anglophone. Les représentations étaient jouées par des acteurs bilingues et surtout francophiles, dans un théâtre francophone. Les surtitres étaient en anglais et l’assistance se composait d’un mélange de francophones, de bilingues, de francophiles et d’anglophones. Dans la représentation d’une pièce de théâtre en français avec des surtitres en anglais pour une assistance plurilingue, y a-t-il des limites à la communication culturelle et sociale du texte?

 

SL : Dans le contexte de la langue, pas vraiment.  Je pense qu’une pièce en français, présentée avec surtitres anglais (qui sont bien faits) peut être bien appréciée par tous les spectateurs. Évidemment, il faut une compréhension de l’anglais et/ou du français, mais cela est assez commun.  Pour L’Homme de la Mancha, quelques comédiens étaient, comme tu le dis, francophiles.  Les surtitres permettaient, même aux francophones qui avaient de la difficulté à comprendre les accents de ces comédiens francophiles, de suivre l’histoire sans problème.

Pour ce qui est du contenu, la question est plus difficile.  Il est certain qu’il existe des limites (pas nécessairement avec une production comme « L’Homme de la Mancha » à Edmonton, mais en général), mais il est de la responsabilité de l’équipe de conception d’éviter que ces limites soient des barrières.

 

DK : Pourriez-vous définir le terme « experimental supertitle » et expliquer son rôle dans la traduction?

 

SL : Le terme « experimental supertitle » est emprunté à Marvin Carlson qui l’utilise souvent dans sa recherche (il a écrit un article Semiotics of Supertitling ainsi qu’un livre Speaking in Tongues qui analysent ces surtitres plus que moi et fournissent plusieurs exemples).  Très brièvement, le terme qualifie tout surtitre qui n’offre pas une traduction fidèle de ce qui est dit sur scène.   Selon Carlson, ces surtitres peuvent prendre la forme d’une autre « voix » sur scène avec son propre message à livrer et qui peut interagir avec les comédiens. Ces surtitres expérimentaux peuvent prendre un format différent des surtitres standards… comme le “news crawl’ de CNN.

 

Pour ce qui nous concerne, nous avons choisi d’employer le terme “surtitres ludiques” pour décrire ces surtitres non-standards.  Dire que ces surtitres ont un rôle dans la traduction n’est pas tout à fait juste.  Les surtitres ont (ou peuvent avoir) un rôle dans la création d’une pièce – en y ajoutant des messages supplémentaires ou des effets particuliers qui vont au-delà du standard.  Si le metteur en scène veut des surtitres seulement pour fournir une traduction pour les spectateurs, il n’est pas possible d’ajouter les surtitres ludiques.  Souvent, ces surtitres se retrouvent dans le théâtre expérimental – c’est parfois le cas à Edmonton.  L’UniThéâtre n’a jamais employé de surtitres ludiques.  Ce n’est qu’au Théâtre au Pluriel du Campus saint-Jean qu’on a pu les essayer lors de la production de Sex, Lies et les Franco-Manitobains de Marc Prescott (avec la troupe Chiens de Soleil du Collège Universitaire de saint-Boniface)



[1] Shavaun Liss a achevé  au printemps 2012 une maitrise en études canadiennes sous la direction du professeur Louise Ladouceur. Cette maitrise portait sur la pratique du surtitrage au théâtre.

 

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